assalamou alaykoum
«Comment s’est produit l’incident ? Plusieurs versions ont été données sur ce drame. Est-ce que c’est une histoire de bagages comme a été rapporté par les médias ? Ecoutez, ma fille, nous, nous étions en bas et nous étions présents au moment de l’incident. Je peux vous assurer que ce ne sont pas les bagages qui ont provoqué la bousculade. C’est l’arrivée d’un émir qui est venu escorté par d’autres personnes et des gardes du corps qui ont été à l’origine de cet incident. Ils ont bloqué le passage de la foule pour se frayer un chemin et c’est à ce moment-là que le «tremblement de terre» a commencé».
De retour des Lieux Saints
Des Algériens racontent le drame de Mina
Epuisés par le long séjour passé aux Lieux Saints de l’Islam, les hadjis ne réalisaient pas encore, à l’atterrissage de l’avion, arrivé hier aux environs de 8h30 à l’aéroport d’Es-Senia, qu’ils sont enfin à Oran.
Quelle émotion et quel soulagement, surtout, de revenir chez soi avec la satisfaction d’avoir accompli un des piliers de l’islam, «le hadj». Il est 9h10, les premiers hadjis commencent à sortir de l’aéroport traînant devant eux des chariots chargés de bagages. Une foule immense immobilisée derrière des barreaux en fer attend avec impatience l’apparition des premiers voyageurs. Des jeunes filles habillées en tenue traditionnelle, «la chedda», des femmes en djellaba, tenant des bouteilles de lait et un panier de dattes à la main. Des hommes, bien habillés, portable à l’oreille.
Tous les regards étaient dirigés vers la porte de sortie de la zone internationale. Ces quelques minutes qui ont précédé ce grand événement semblaient très longues et pleines de suspense. Le stress commençait à gagner tout le monde. Chacun espérait voir son proche franchir la porte de sortie le premier. L’agitation commence de l’autre côté des barreaux. «Les voilà! Ils arrivent», s’écrit une femme parmi la foule. Soudain, un brouhaha indescriptible envahit les lieux. La première personne à apparaître était une femme. La quarantaine environ, habillée tout en blanc, elle pousse avec difficulté le chariot devant elle.
Des yeux, El Hadja cherche ses proches parents qui sont vite venus à sa rencontre. Un moment fort, chargé d’émotion. Les embrassades n’en finissaient plus, chacun avait les larmes aux yeux. La dame passa devant les agents de sécurité qui étaient mobilisés pour veiller à l’ordre. Commença ensuite la sortie d’un autre convoi de hadjis. A ce moment, la foule présentait des signes d’impatience, avançant sous les regards très vigilants des agents de l’ordre, jusqu’au deuxième cordon de sécurité, pour mieux dévisager les personnes. A l’intérieur de l’aérogare, dans la grande salle d’attente, l’ambiance était empreinte d’émotion.
Plus loin, dans l’aire d’embarquement, les hadjis attendaient pour récupérer leurs bagages. Une dame, très menue, la soixantaine environ, les valises devant elle, attendait son mari. Interrogée sur le séjour passé dans les Lieux Saints, El Hadja a directement affiché son mécontentement et déclara sans hésiter, «sur le plan de l’organisation, c’était nul. Arrivés sur les lieux, nous avons été abandonnés à notre sort. Ni prise en charge, ni transport, ni restauration, ni «taouaf». Pourtant, nous avons payé cher les frais de séjour. C’était l’anarchie totale. Beaucoup d’entre nous se sont perdus et n’ont pu être retrouvés que grâce à leurs colocataires». «On était «hamline» (perdus)», a-t-elle déploré. «Vous étiez présente lors de la bousculade ? Non, nous n’étions pas encore arrivé. La plupart des Algériens sont arrivés après la catastrophe». Elle semblait ignorer le nombre d’Algériens morts dans la bousculade. «Ils disent qu’il y a eu trois morts», lance-t-elle.
Devant elle, un vieil homme, habillé en djellaba, âgé de plus de soixante-cinq ans, ne semblait pas satisfait lui aussi des conditions de prise en charge assurée par l’office. «Ecoutez, ma fille, je crois que sur le plan d’organisation, il reste beaucoup à faire. C’est tout ce que je peux vous dire. Je ne veux pas critiquer. Mais Hamdoulilah d’avoir pu accomplir mon hadj». Ayant pris connaissance que la presse était présente, un hadji s’écria dans la salle: «Vous êtes journaliste et bien prenez mon témoignage. C’était scandaleux. Nous n’avons bénéficié d’aucune prise en charge. Nous étions quatorze personnes regroupées dans une seule salle qui ne devait contenir, en principe, que quatre personnes. Nous avons beaucoup souffert. Heureusement, nous sommes là maintenant, sains et saufs. C’est tout ce que je voulais dire. Excusez-moi, je dois m’occuper des bagages maintenant». Un autre homme, blessé au pied, avance dans la salle. «Avez-vous été blessé dans la bousculade ? Oui, mais heureusement ce n’était pas grave. Nous avons été choqué par ce drame. Je ne peux pas dire plus».
Une vieille dame assise dans une chaise roulante, portant un bandage au bras, est restée à l’écart attendant que son fils récupère les bagages. C’est la seule parmi les passagers interrogés qui était présente au moment de la catastrophe. Elle a pu décrire au détail comment s’est produit cet incident tragique.
«La bousculade, raconte-t-elle, s’est produite vers 12h au 3ème jour de lapidation à Mina. Nous avons fait dix heures de route pour arriver de La Mecque à Mina. C’est un trajet de 10 kilomètres seulement. Arrivés sur les lieux, nous nous sommes dirigés pour accomplir la lapidation rituelle. Il y avait des hadjis qui devaient passer par le pont et d’autres qui étaient en bas. Tout d’un coup, nous avons senti comme un tremblement de terre. Les gens du bas ne savaient pas ce qui se passait en haut. Le tremblement devint ensuite plus fort. Puis nous avons pu voir des personnes qui commençaient à tomber du haut du pont. Une pluie d’êtres humains tombait sur la foule. C’est à ce moment précis que nous avons compris que c’était la bousculade. Puis c’est une vague gigantesque qui s’abattait sur nous. A un moment donné, nous avions l’impression que c’était le «tsunami» qui a frappé la région.
Chaque personne qui avait chuté du haut du pont était automatiquement écrasée. Les gens étouffaient. Nous voyons des personnes mourir devant nous. Des Algériens que nous connaissons. Les gens couraient dans tous les sens. Hommes et femmes criaient de toutes leurs forces. Même ceux qui étaient jeunes et avaient de la force étaient écrabouillés. C’était la «lapidation de la mort». Un Algérien, membre de la délégation, a eu la mâchoire fracturée. Une autre femme qui est venue avec nous sur ce vol avait des bleus sur tout le corps. Nous avons été sauvés grâce à des hommes courageux qui lors de cette bousculade ont mis en place des cordons de sécurité en se tenant les coudes, et chaque fois qu’une femme tombait elle était vite retirée pour ne pas être déchiquetée par la marée humaine qui déferlait. Malheureusement, et malgré cela, beaucoup de personnes sont mortes. Les moyens de secours déployés par les Saoudiens, la présence des pompiers et des forces de l’ordre n’ont pas pu maîtriser la situation. La catastrophe était plus importante que leurs moyens. Il est inconcevable que plus de 2 millions de hadjis passent tous par un seul pont. Nos morts nous les avons enterrés et nous sommes là maintenant. C’est très pénible le hadj. C’est vraiment très pénible», raconte cette dame, très peinée.
«Comment s’est produit l’incident ? Plusieurs versions ont été données sur ce drame. Est-ce que c’est une histoire de bagages comme a été rapporté par les médias ? Ecoutez, ma fille, nous, nous étions en bas et nous étions présents au moment de l’incident. Je peux vous assurer que ce ne sont pas les bagages qui ont provoqué la bousculade. C’est l’arrivée d’un émir qui est venu escorté par d’autres personnes et des gardes du corps qui ont été à l’origine de cet incident. Ils ont bloqué le passage de la foule pour se frayer un chemin et c’est à ce moment-là que le «tremblement de terre» a commencé».
Notre hadja enchaînera ensuite sur les conditions de prise en charge et son séjour à La Mecque et à Mina. «Cette blessure au bras, je l’ai eue suite à un accident causé par un «motard» qui m’a renversée. Et ce qui est déplorable est que je n’ai même pas été prise en charge à l’hôpital. On ne m’a pas fait de radio, ni de plâtre non plus. Aucune procédure n’a été prise pour arrêter le coupable». Concernant les conditions d’hébergement, c’est la même version donnée par les autres hadjis. «Nous avons payé 200 euros supplémentaires à l’ONAT Pour une prise en charge améliorée. Nous n’avons même pas eu droit au minimum. Nos repas se limitaient à du riz, les premiers jours, et de petites boulettes de viande congelée. Nous étions 60 personnes amassées dans une seule tente. Contrairement aux autres pays qui étaient mieux organisés, il n’y avait aucune organisation réelle, à l’exception pour les personnes venues avec la biâtha». A 10h du matin, l’aéroport était déjà vide. Tous les hadjis ont été libérés pour rejoindre leurs domiciles. Les derniers attendaient encore d’être transportés par leurs familles. Une jeune fille, la trentaine environ, était affolée. Elle pleurait et demandait aux hadjis s’il restait encore de voyageurs à l’intérieur de l’aérogare. Elle était venue avec son frère chercher son père. A 10h passées, il n’était pas encore sorti. «Il devait venir dans ce vol. Il nous l’a dit lui-même au téléphone», avait déclaré bouleversée la jeune fille qui venait, comble d’infortune, de perdre son portable.
B.Mokhtaria