Une très intéressante interview de Yakov M.Rabin, historien, Juif, auteur de "Au nom de la Torah. Une histoire de l'opposition Juive au sionisme".
Pour des juifs hassidiques et des juifs libéraux, les sionistes étaient aussi dangereux que les missionnaires chrétiens parce que les uns et les autres voulaient détacher les Juifs de la Torah.
Yakov M. Rabkin, historien à l'Université de Montréal cultive deux champs de recherche de prédilection: l'histoire juive contemporaine et l'histoire des sciences. Il a étudié le judaïsme auprès de plusieurs rabbins au Canada, en France et en Israël. Il était arrivé au Canada en 1973 après avoir vécu 28 ans en Union soviétique, son pays natal. Il a également passé de nombreuses années sabbatiques en Israël même.
S'il fit beaucoup parler de lui l'an dernier, c'est parce qu'il commit un ouvrage peu ordinaire, «Au nom de la Torah. Une histoire de l'opposition juive au sionisme»[15]. Il y soutient, dans ce qui pourrait paraître à première vue une curieuse dissonance, pour ses détracteurs en tout cas, qu'il y a parmi les partisans inconditionnels de l'État hébreu moins de juifs que de chrétiens. Et que cette opposition au sionisme articulée au nom de la tradition juive minerait en définitive la légitimité proprement juive de l'État d'Israël, représentant même, selon un expert local, «une menace plus fondamentale que l'hostilité arabe et palestinienne».
Le Pr Rabkin pense que l'opposition juive à l'existence même de l'État juif est un phénomène occulté, voire censuré, qui suscite autant de colère que de curiosité. Il était venu dernièrement s'ouvrir à Bruxelles de ce bouillant sujet. «Il n'est aucun précepte dans la tradition juive, insiste-t-il, qui nous oblige à vivre là où Abraham a marché.»
Le propos de votre livre est délicat en ces temps de confusion et d'amalgames.
Je suis très conscient qu'existe - mais un peu moins au Canada - un tel climat de terreur intellectuelle. Vous comprenez bien que c'est une tactique qui tend à étouffer le débat. Mais, en qualité d'historien, j'ai voulu jeter un peu de lumière sur un sujet très peu connu par le public.
A quand remonte cette opposition juive au sionisme?
Je traite en réalité d'une partie de cette opposition seulement. Car il en existe une autre, celle qui provient de la gauche, des communistes et des socialistes, qui étaient opposés à l'idée d'un État-Nation juif pour des raisons humanitaires à caractère marxiste. Moi, je me concentre sur tous ceux qui le font au nom de la Torah et de la tradition juive. Pas nécessairement des juifs hassidiques - comme ici à Anvers - mais également des juifs libéraux. Je commence donc avec le début du sionisme politique à la fin du XIXe siècle et j'amène cela jusqu'à l'époque moderne.
Pour ces gens-là, l'idée du sionisme constitue une rupture dans la continuité juive. Les sionistes eux-mêmes admettent volontiers qu'il faut nier le judaïsme pour pouvoir construire un nouveau peuple dans un nouveau pays. C'est un des grands projets de transformation qu'on a connus au XXe siècle. Le premier congrès sioniste ne s'est pas tenu par hasard à Bâle, à l'heure des grands mouvements nationalistes. Toutes les ressources humaines viennent d'Europe. Il fallait créer une conscience nationale au sein d'un groupe religieux qui n'en avait pas, puis créer une langue commune et les transporter dans un pays lointain, et y assurer un contrôle politique et militaire.